Avec la présentation, au Festival de Cannes, du film controversé "Hors la loi" de Rachid Bouchareb, nous parlons beaucoup des événements de Sétif qui se sont déroulés en mai 1945. Librairie-pied-noir.com a donc choisi d'éclairer ses visiteurs sur cette triste page de l'histoire de l'Algérie Française.
Voir le communiqué du Cercle Algérianiste à ce sujet - Cliquez ici - Manifestation 21 mai à Cannes à 10h30 au monument aux Morts.
Voici, dans son intégralité, le récit circonstancié des émeutes qui ont vu le jour, à Sétif, le 8 mai 1945 et de la répression qui suivit cette insurrection, par le colonel Adolphe GOUTARD, historien militaire, tel qu’il l’a écrit pour Historia Magazine La Guerre d’Algérie. Ces éléments ont été extraits du site "Les petits échos de l'Echo d'Oran".
C’est jour de marché. De nombreux indigènes venus des douars voisins emplissent les rues. Vers 7 heures, un rassemblement se forme devant la mosquée. La troupe scout musulmane Kechafat el-Hyat est autorisée à défiler pour se rendre au monument aux morts. Vers 8h30, elle se met en marche, suivi par un cortège de 7 000 à 8 000 personnes. En tête, trois hommes portent un drapeau français et deux drapeaux aux couleurs du prophète. Derrière eux apparaissent des pancartes sur lesquelles on lit : Libérez Messali ! Nous voulons être vos égaux ! Vive l’Algérie indépendante ! Vers 9 heures, le cortège arrive rue de Constantine où il se heurte à un barrage de police. Le commissaire central somme les manifestants de faire disparaitre les pancartes séditieuses. Sur leur refus, la police essaye de s’en emparer. C’est le signal de la bagarre. Des coups de feu éclatent. Le cortège se disperse et les manifestants se répandent dans la ville assaillant à coups de pistolet, de couteau, ou de bâton, les européens rencontrés dans les rues ou assis à la terrasse des cafés. On entend les cris de N’Katlou ennessara ! (Tuons les européens !). Les femmes poussent de stridents you-you.
Rue Sillègue, M. Deluca président de la délégation spéciale s’efforce de calmer les excités. Il est abattu. D’autres meurtres sont commis.
Quand vers, midi l’ordre est rétabli, on relève dans les rues vingt et un cadavres d’européens.
D’après le procès verbal détaillé, on voit que treize de ces cadavres ont le crâne complètement enfoncé, un est éventré et un autre émasculé.
Dans l’après midi, les troubles s’étendent au nord de Sétif.
A El ouricia, à 12 kilomètres, l’abbé Navarro est abattu.
Aux Amouchas à 10 kilomètres plus au nord les maisons européennes sont pillées mais leurs habitants ont pu fuir.
A Périgotville, les insurgés pénètrent dans le bordj et s’emparent de 45 fusils Lebel, et de 10 000 cartouches puis ils attaquent les européens et pillent leurs maisons. Au soir, quand le village sera dégagé, on relèvera 12 cadavres sauvagement mutilés.
A Sillègue, le garde champêtre M. Mutschler est tué ainsi que sa femme et le cantonnier. Les maisons européennes sont pillées puis incendiées.
A La Fayette, de gros rassemblements d’indigènes se forment mais sur l’intervention de l’administrateur, aidé par des notables musulmans, les attroupements se dispersent.
Il n’en est pas de même malheureusement à Chevreul, à 60 kilomètres au Nord de Sétif. A 2 heures du matin, le village est pillé et incendié. La plus part des européens s’étaient réfugiés à la gendarmerie, mais ceux qui ne l’avaient pas pu sont massacrés et mutilés. Le lendemain quand les secours arriveront, on trouvera 5 cadavres dont ceux de trois hommes émasculés. Le garde forestier Devèze et les agents des Ponts et Chaussées Coste et Bovo et ceux de deux femmes : Madame Devèze et Madame Bovo, celle-ci est mutilée des deux seins.
En outre quatre femmes ont été violées dont Mme Ruben, âgée de 84 ans, madame Grousset et sa fille Aline âgée de 15 ans.
Pour ce premier jour on dénombrera au total dans la subdivision de Sétif : 84 tués dont 13 femmes.
Dans l’après midi du 8 mai, autour de la place du marché ou les associations patriotiques se sont réunies pour célébrer l’armistice, de nombreux indigènes se massent portant des pancartes et l’étendard du prophète. Quand le cortège arrive devant le monument aux morts, les manifestants se mettent à scander : libérez Messali !, tapant des mains en cadence et levant l’index vers le ciel.
L’intervention de la police déclenche une bagarre à laquelle met fin l’arrivée d’un renfort de policiers.
Bilan 46 blessés chez les agents et les civils européens, un tué et 30 blessés chez les manifestants.
Le 9 mai, un nouveau foyer s’allume autour de Guelma ; Croyant la ville aux mains des insurgés, de nombreux groupes de musulmans armés descendent de leur montagne sur Guelma mais ils se heurtent au bataillon d’instruction du 7° tirailleurs et aux civils français que l’énergique sous-préfet Achiary a fait armer conformément au « Plan de défense des centres de colonisation ».
Cependant les abords et les communications ne seront dégagés qu’à partir du lendemain avec l’aide du groupe mobile motorisé de Combourieu envoyé d’urgence de Tunisie.
Dans les départements d’Alger et d’Oran l’ordre n’est pas troublé.
En somme, le 8 mai 1945 un foyer insurrectionnel a éclaté à Sétif, fief de Ferhat Abbas et de ses « Amis du Manifeste » et a gagné les environs. Il s’agit maintenant d’éteindre cet incendie avant qu’il se propage dans toute l’Algérie.
Le 8 mai 1945, les unités de campagne de la division de Constantine sont en Allemagne. Pour maintenir ou rétablir l’ordre dans cette immense région sous-administrée qui comporte des massifs comme ceux de l’Atlas tellien, de l’Aurès et des Babors, difficilement pénétrables, le général Duval ne dispose que d’un effectif total de 9 000 hommes en grande partie composé de dépôts et unités de garde, inemployables en opérations.
En fait, il n’a, comme éléments mobiles, que le 15° régiment de tirailleurs sénégalais, un bataillon de marche du 3° zouaves, le 9° spahis, privé des deux escadrons détachés en Tunisie, un escadron motorisé de la garde, un peloton motorisé de légion, un goum marocain et un groupe d’artillerie.
La gendarmerie n’a que 523 gendarmes présents disséminés sur tout le territoire en 74 brigades. Il est évident que, pour arrêter le massacre avec si peu de moyens et avant l’arrivée d’importants renforts d’Algérie et du Maroc, il fallait agir vite et fort.
C’est ce que le général Duval exposera au ministre, par lettre du 26 mars 1946, en réponse aux accusations de Ben Djelloul :
« J’ai hautement conscience, non pas d’avoir dirigé des opérations de répressions, mot qui choque mon sentiment de soldat et de français, mais d’avoir rétabli la sécurité en limitant, dans la mesure du possible, l’emploi de la force… Si le mouvement insurrectionnel n’avait pas été étouffé à ses débuts, l’incendie aurait embrasé tout le constantinois, puis l’ensemble de l’Algérie. Il me souvient non sans émotion de la période critique, qui dura jusqu’au 18 mai, où l’on sentait les masses indigènes des campagnes en transes et poussées à la guerre sainte, guettant la proie facile des villages et
des fermes isolées, prêtes à se lancer au pillage au premier succès d’émeute. »
Le 7 mai au soir, inquiété par certains renseignements, le général Henry Martin, commandant le 19° corps et la X° région militaire à Alger, avait prescrit à ses trois divisions territoriales Alger, Oran et Constantine, de constituer des piquets en armes. En conséquence, le 8 mai à 5 heures , le colonel Bourdila commandant la subdivision de Sétif qui dispose de la valeur d’un bataillon fait rassembler dans la cour de la caserne deux compagnies, faisceaux formés, avec ordre au chef de détachement d’ « éviter à tout prix, s’il doit intervenir, de faire usage des armes, sauf le cas de légitime défense ».
A 9 heures, un agent de police arrive en courant à la subdivision, et se précipite vers le colonel : « Mon colonel, on tire du côté de l’Hôtel de France ! ».
Aussitôt, l’ordre est donné au commandant Rouire de se porter avec le détachement dans le centre de la ville.
La troupe s’y rend au pas cadencé. Le chef de bataillon s’avance avec un clairon au-devant des manifestants et ses sommations, sans aucun coup de feu, aident la police à dégager le centre de la ville.
A 11 heures, le commandant Rouire reçoit l’ordre de se porter avec une compagnie au marché arabe où, comme nous l’avons vu, plusieurs milliers d’indigènes sont aux prises avec la police. Là, sa troupe repousse les manifestants à coups de crosse, sans tirer, malgré la découverte exaspérante de cinq cadavres d’européens affreusement mutilés.
Vers midi, le calme est revenu à Sétif, où l’on relève les 21 cadavres d’européens que nous savons.
Mais l’insurrection a gagné les environs.
A 10 heures, la division de Constantine a reçu ce message de Sétif :
« Emeutes ont éclaté. Morts et blessés dans la population européenne. Situation semble très grave. »
Un second message dit : « Rassemblement inquiétants à Oued-Zenati »
Le général Duval dirige alors de Philippeville sur Sétif un peloton de 5 half-tracks de la garde mobile et une compagnie du 15° sénégalais en camions.
Le peloton de la garde arrive à Sétif à 15H30. On lit dans le journal de marche de l’unité :
« De Sétif, le half-track du capitaine Mazucca repart immédiatement pour dégager Périgotville, qui est encerclée. Aux abords de ce village, le half-track est stoppé par un barrage de pierres et pris sous des feux assez nourris. Les balles s’écrasent contre le blindage. Il riposte à la mitrailleuse et fait sauter le barrage. Son arrivée dans Périgotville coupe court aux massacres. Une douzaine de cadavres sont relevés, sauvagement mutilés. Les faces sont en bouillie. De larges flaques de sang s’étalent sur le seuil des maisons aux portes ouvertes. Poursuivis par le feu des mitrailleuses, les assaillants se retirent dans le djebel. »
Quant à la compagnie sénégalaise, retardée par des pannes, elle n’arrive à Sétif qu’à 22 heures.
Une partie est aussitôt envoyée sur Sillègue, qu’elle trouve en flammes à 2 heures. L’autre partie, comprenant deux sections sous les ordres du lieutenant Bentegeat , est dirigée sur Aïn-Abessa, à 18 km au nord de Sétif. Quand elle y parvient, vers 1 heure, la situation est la suivante : depuis la veille au soir, le bordj où la population européenne s’est réfugiée et dont la défense a été organisée par le chef de brigade de gendarmerie, est assiégée par un millier d’indigènes conduits par Debache Seghir, membre influent des « Amis du Manifeste ». Ils arrosent le bâtiment de rafales de mitraillette et de coups de fusil.
A l’arrivée du lieutenant et de sa petite troupe, les assaillants se retirent. Une patrouille envoyée dans le village délivre la famille Heyberger, également assiégée dans sa maison. La patrouille arrête plusieurs des assiégeants, pris les armes à la main, dont le secrétaire général des « Amis du Manifeste ». En fouillant le village, on découvre le cadavre de M. Fabre, tué à coups de pistolet et de gourdin.
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Communiqué AFP sur les propos du Ministre de la Culture.
Le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand a estimé dimanche que "la liberté de créer doit rester complète", à propos de la polémique sur le film "Hors la loi" du réalisateur franco-algérien Rachid Bouchareb consacré en partie à la guerre d'Algérie.
Le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand a estimé dimanche que "la liberté de créer doit rester complète", à propos de la polémique sur le film "Hors la loi" du réalisateur franco-algérien Rachid Bouchareb consacré en partie à la guerre d'Algérie.
"On ne peut pas parler sans passion de la guerre d'Algérie. Ce n'est pas un film d'histoire, c'est une fiction. La liberté de créer doit rester complète", indique le ministre dans un entretien au quotidien Nice-Matin.
"Objectivement - et c'est un jugement de spectateur -, ce film est digne des critères esthétiques du Festival de Cannes", ajoute Frédéric Mitterrand.
"J'ai le plus grand respect pour les gens qui ont souffert pendant la guerre d'Algérie, qui sont partis en perdant tout, et qui n'ont pas été entourés de beaucoup de compassion quand ils sont arrivés. Plus les Harkis qui ont été traités comme on le sait. Je comprends leurs souffrance, leurs craintes", conclut le ministre.
"Hors-la-loi", qui représente l'Algérie en compétition officielle, suit, de la fin des années 1930 à l'indépendance algérienne en 1962, le destin de trois frères à travers les tumultes de l'histoire franco-algérienne.