Ce texte est extrait d'une conférence de Maurice Calmein, Président-fondateur du Cercle algérianiste en 1973. Toute reproduction totale ou partielle de ces informations est soumise à des droits.
L’Algérianisme n’est pas simplement un courant littéraire, c’est un état d’esprit, une réalité humaine et historique, une mêlée d’âmes, une culture qui s’est traduite dans des comportements, un langage, un folklore, une cuisine, qui s’est aussi exprimée, et continue de s’exprimer, dans les arts, le théâtre, le cinéma, la chanson.
Mais c’est sans doute à travers les innombrables auteurs qui ont écrit sur l’Algérie que l’on peut cerner le mieux les contours de cette pensée et son évolution. Toute cette mémoire écrite, permet d’en renouer le fil.
Certains, aujourd’hui, pour des raisons idéologiques, préfèrent nier l’existence d’une authentique culture d’Algérie, ce creuset de civilisation où se sont rencontrés l’Orient et l’Occident ; des hommes et des femmes venus de toute la Méditerranée et d’ailleurs.
Mais comment peut-on refuser d’admettre qu’en vivant ensemble pendant 132 années, en construisant ensemble un pays neuf, tous ces êtres aient donné naissance à des phénomènes et des expressions culturels spécifiques ?
Personne n’aurait l’idée de nier l’apparition d’une culture américaine née sur la vieille souche anglaise !
En vérité, le fait de lever le voile sur cette réalité culturelle algérienne dérange ceux qui ont voulu sa mort, tout comme dérangent les témoignages des Pieds-Noirs, des Harkis, et même le simple fait que, 47 ans après la fin du conflit algérien, on puisse encore s’affirmer Français d’Algérie.
- Cette histoire culturelle, et plus particulièrement littéraire, de l’Algérie commence avec les auteurs grecs, latins, berbères (Saint Augustin, Juba II) puis arabes (Ibn Khaldoun). Déjà dans l’Antiquité, et notamment pendant les 5 siècles de présence romaine, l’Afrique du nord est une terre de rencontres et de fusion culturelle.
- Puis la piraterie barbaresque en Méditerranée donnera naissance aux récits des missionnaires partis racheter des esclaves et qui raconteront ce qu’ils ont fait et vu. Des captifs eux-mêmes écriront à leur retour. Le plus célèbre restera Cervantès.
On doit aussi quelques écrits à des scientifiques envoyés en mission par les rois de France : des médecins, géographes ou naturalistes.
- Avec le débarquement de Sidi-Ferruch et la prise d’Alger en 1830 viendra ensuite le temps des militaires. Ils écriront beaucoup sur la découverte de cette Régence d’Alger qui deviendra l’Algérie.
L’un d’eux créera même le premier journal français d’Algérie : L’estafette d’Alger.
- Sur les pas de l’armée débarquent aussi des écrivains et journalistes appelés par les généraux pour graver leurs mémoires dans le marbre de l’histoire.
Ce fut, par exemple, le cas de Charles Nodier, chargé par le Duc d’Orléans d’écrire le récit de l’expédition des Portes de fer.
- Arrivèrent ensuite des voyageurs, écrivains, poètes mais aussi peintres, curieux d’exotisme oriental.
- Puis, au début du XX è siècle, la littérature deviendra plus réaliste. Elle commencera à faire une petite place au langage naissant, ce pataouète immortalisé par Musette (Auguste Robinet) et son turbulent héros Cagayous.
- C’est à ce moment-là qu’apparaît un grand écrivain, qui deviendra membre de l’Académie française, Louis bertrand. Il va se pencher sur le petit peuple qui s’établit en Algérie, composé d’Espagnols, Italiens, Maltais ou « Français de France », tous ancêtres de ce que l’on appellera plus tard les Pieds-Noirs.
Bertrand va donner à toute une génération d’écrivains l’élan qu’ils cherchaient et il les aidera à prendre conscience de leur différence, ouvrant ainsi la voie à l’Algérianisme.
- Mais en 1954 l’insurrection éclate. La littérature devient politique et guerrière. La France redécouvre l’Algérie avant de lui tourner le dos.
- En 1962, c’est la rupture violente, historique et affective, et l’exode d’un million de personnes.
Beaucoup de Pieds-Noirs vont écrire leur souffrance, leur déracinement.
Les acteurs de la guerre, Français ou Algériens, vont aussi apporter les témoignages de leurs engagements, pour ou contre l’Algérie française, le FLN, l’OAS, le pouvoir gaulliste.
- Le temps cicatrisant les plaies, les Pieds-Noirs s’attacheront à sauvegarder la mémoire de leur terre natale, de leur histoire, en écrivant des milliers de livres et d’articles sur leurs villes, leurs villages, leurs familles, leur folklore, leur cuisine.
Et parmi eux, mais aussi parmi les Algériens, certains s’attachent à sauvegarder aussi l’authenticité de cette culture commune née là-bas et se prolongeant ici. Ils refusent de voir mourir cet « oiseau aux ailes coupées » en 1962. C’est la renaissance de la pensée algérianiste et ses prolongements actuels.
Après ce rapide survol chronologique de la littérature algérienne, je vous propose de revenir sur quelques uns de ses temps forts, quelques figures marquantes, et en particulier sur la naissance et l’évolution de l’Algérianisme.
A partir de 1830 et jusqu’au début du XX è siècle, ce sont donc des romanciers et poètes qui viennent en Algérie chercher de la couleur locale et n’y cherchent pas autre chose. Ils dépeignent l’Algérie qu’ils avaient déjà en tête. Pierre Martino résumait cette attitude de la façon suivante : « Chacun apporta de France son Algérie toute faite ; comme ils passèrent très vite, presque tous, ils n’eurent que très peu à la retoucher ». Ils sont venus se nourrir d’images qui illustrent leur vison exotique, ignorant les Français, les militaires, dont la présence gêne même leur recherche d’orientalisme. « Un pays superbe, écrit Théophile Gautier, où il n’y a que les Français de trop ».
C’est dans cette catégorie que l’on peut classer Eugène Fromentin (Un été dans le Sahara ), Alphonse Daudet (Tartarin de Tarascon), Maupassant (Au soleil), les frères Goncourt, Flaubert, Feydeau, Loti, mais aussi Gide pour qui l’ivresse de l’exotisme se mêle à celle des sens.
On citera principalement ici Louis Bertrand, qui accèdera à l’Académie française en 1925 (au fauteuil de Maurice Barrès). Lui aussi arrive de France, en 1891,non pas pour un bref séjour, mais comme professeur de rhétorique au lycée d’Alger. S’il ne vient pas chercher l’exotisme, il entend toutefois fuir la tristesse du provincialisme français, de l’idéal petit-bourgeois, l’académisme et les convenances. Et il découvre avec émerveillement le petit peuple d’Alger mais aussi les routes du sud, Tipasa et tous les autres vestiges romains.
Il va se faire le chantre de la nouvelle race française d’Algérie.
Son œuvre est une véritable œuvre d’amour fondée sur l’exaltation des racines latines de cette nouvelle civilisation.
Avide de sensations fortes et neuves, il va trouver ce qu’il cherche dans ce peuple d’Algérie, neuf, né de la mêlée des races: « Sortir de la stagnation française, de l’avachissement démocratique, vivre en joie et en gloire ! ».
D’où ces nombreux romans hauts en couleurs, réalistes et truculents comme Le sang des races, La Cina, Pépète le bien aimé, La concession de Mme Petitgand, etc.
Extrait du Sang des races :
« Ce que j’aperçus d’abord, ce fut le labeur silencieux de la terre, les hommes qui la défrichaient, qui asséchaient les plaines marécageuses, qui semaient le blé, qui plantaient la vigne, qui bâtissaient…qui s’acharnaient à ce labeur souvent ingrat, en dépit des hiboux qui en prédisaient l’inutilité, malgré l’insouciance ou la malveillance de la Métropole, malgré les années de sécheresse et de mévente, où l’on était obligé de lâcher dans le ruisseau des flots de ce vin invendu qui avait tant coûté…
Véritable mêlée cosmopolite de mercenaires, de colons, de trafiquants de toute sorte, ce sont eux que j’aperçus d’abord quand je cherchais l’Algérie vivante, active, celle de l’avenir…
Cette ardente Afrique dont je courais les routes m’apportait comme un lointain pressentiment de la victoire. Je pensais déjà ce que je n’ai pas cessé de crier depuis : que la France, fatiguée par des siècles de civilisation, pouvait rajeunir au contact de cette apparente et vigoureuse barbarie ».
Mais pour Bertrand, ces hommes d’Algérie ne faisaient que renouer avec leurs racines latines d’Afrique après avoir coupé celles qui les rattachaient à leurs pays européens d’origine. En 1903, il écrivait :
« La véritable Afrique c’est nous les Latins, nous les civilisés… Mare nostrum : Qu’elle soit notre mer à tout jamais ! Défendons-la contre les Barbares, pour refaire l’unité de l’Empire ».
En dehors de cet empire, tout n’est pour lui « qu’anarchie indigène ». « Il faut maintenir l’Arc de triomphe » !
Ce patriotisme terrien et cette exaltation de la latinité retrouvée lui ont cependant fermé les yeux sur les réalités profondes de l’Algérie.
Tout en affirmant qu’il n’est pas « l’ennemi des musulmans », il exclue totalement la composante arabo-berbère de ce pays en création et ne cache pas sa préférence :
« L’indigène m’étant antipathique en raison de son hostilité latente et de la barbarie arriérée où il croupissait, je me retournai vers ceux de ma race, vers les Latins d’Afrique ».
A la dignité et à la fière allure des Arabes, évoquée par des Orientalistes comme Fromentin, Bertrand oppose « l’uniforme linceul de chaux de l’Islam… qui n’a apporté que la misère, la guerre endémique, la barbarie… et a détruit l’œuvre des Carthaginois et des Romains ».
Il reconnaît toutefois que « les vrais fils de la terre, les Berbères indigènes, ont résisté de leur mieux à l’envahisseur asiatique et oriental ».
Un autre extrait du Sang des races :
« A travers le Méditerranéen d’aujourd’hui, je reconnus le Latin de tous les temps. L’Afrique latine perçait, pour moi, le trompe l’œil du décor islamique moderne. Elle ressuscitait dans les nécropoles païennes et les catacombes chrétiennes, les ruines des colonies et des municipes dont Rome avait jalonné son sol… Et voici qu’elle s’offrait à mes yeux sous un nouvel aspect. L’Afrique des Arcs de triomphe et des basiliques, l’Afrique d’Apulée et de Saint Augustin surgissait devant moi. C’est la vraie.
L’Afrique du nord, pays sans unité ethnique, pays de passage et de migrations perpétuelles, est destinée par sa position géographique à subir l’influence ou l’autorité de l’Occident latin. Il a fallu l’éclipse momentanée de Rome, ou de la latinité, pour que l’Orient byzantin, arabe ou turc, y implantât sa domination. Dès que l’Orient faiblit, l’Afrique du nord retombe à son anarchie congénitale, ou bien elle retourne à l’hégémonie latine, qui lui a valu des siècles de prospérité, une prospérité qu’elle n’avait jamais connue avant, et qui, enfin, lui a donné pour la première fois un semblant d’unité, une personnalité politique et intellectuelle ».
Si Bertrand a ouvert la voie aux Algérianistes en exprimant sa sympathie et son admiration pour ce peuple neuf et vigoureux d’Algérie, ceux-ci s’en éloigneront à cause de sa vision partielle des réalités, de cet aveuglement dû à un sentiment exacerbé de la latinité.
Il a, certes, joué un rôle d’éclaireur… mais en n’éclairant qu’une partie du spectre culturel algérien.
D’autres écrivains ont également marqué cette évolution vers l’Algérianisme :
C’est le cas d’Auguste Robinet, qui signait Musette. Né à Alger en 1862, il fut le premier à écrire dans la langue qui se formait, pour raconter la vie du petit peuple d’Algérie qu’il chérissait, à travers les aventures de son héros Cagayous.
C’est aussi le cas de John Antoine Nau, qui obtint le premier le Prix Goncourt en 1913 pour son roman « Cristobal le poète » qui, lui aussi, exalte le petit peuple d’Alger, heureux de vivre, généreux, bruyant et passionné.
C’est d’abord un Courant littéraire né au début XX è siècle à Alger, où quelques intellectuels prirent conscience que dans ce creuset que constituait l’Algérie française, une culture nouvelle et autonome était en train de naître.
Jean Pomier et Robert Randau furent les deux principaux artisans de ce courant.
- Pomier, né en 1886 à Toulouse, jeune attaché de préfecture nommé à Alger, est aussi poète. Il rencontre de jeunes écrivains comme Louis Lecoq, Charles Hagel ou René Hughes. Ils se réunissent fréquemment entre 1910 et 1914 mais la guerre interrompt leurs échanges qui ne reprendront qu’en 1920. Pomier écrivit surtout des poèmes et des articles. Sur ses vieux jours, revenu à Toulouse, il publiera plusieurs livres dont « Chronique d’Alger ou le temps des Algérianistes » dans lequel il racontera la naissance du mouvement algérianiste.
- Randau, de son vrai nom Robert Arnaud, est un vrai Pied Noir, né en 1873 à Alger. Malgré une carrière coloniale an Afrique noire, il garde le contact avec l’Algérie et notamment avec son ami Louis Lecoq.
Quatre de ses romans ont pour thème l’Algérie : Les Colons, Les Algérianistes, Cassard le Berbère et Le professeur Martin petit bourgeois d’Alger. On a qualifié ces livres de « romans de la patrie algérienne ».
- L’Algérianisme se défend d’être une « école » au sens académique.
« Les écoles littéraires et les modalités de l’expression ne nous préoccuperont pas outre-mesure, disait Pomier dans la déclaration « Algériennement »,publiée dans le premier numéro de la revue Afrique .Il y a là un certain mandarinat qui ne saurait convenir à une pensée jeune, émerveillée de croître, et pour qui nulle beauté ne saurait dépasser la beauté de l’action : philosophie de force et de mouvement que nous n’avons pas l’outrecuidance d’avoir découverte mais qu’il nous a paru nécessaire de dresser aux frontons de l’art français d’Algérie ».
- L’Algérianisme se voulait donc un mouvement d’approfondissement de l’autonomie de cette exo-France qu’était l’Algérie.
Il ne s’agissait pas de jouer au séparatisme vis à vis de la France ni d’ignorer les indigènes. Sans rejeter la thèse bertrandienne de la latinité, le nouveau peuple devait englober les Arabes et les Berbères qui devaient pouvoir s’exprimer à l’intérieur du mouvement. Ainsi, Jean Pomier fut-il le premier à annoncer le roman que Hadj Hamou, « Zohra, la femme du mineur », était en train d’écrire sous le nom d’Abdelkader Fikri.
- Pour autant, les Algérianistes réfutent le goût de l’exotisme, l’orientalisme de bazar et le romantisme qu’ils jugent périmé.
Moqueur, Pomier parle à ce sujet de « la triade du chameau, du palmier et de la mouquère ».
- Ce mouvement se voulait aussi, sous l’influence de Randau, « une philosophie de l’effort », un « effort d’âme » précisera Pomier.
« L’effort seul, dit Randau dans son roman Les Algérianistes , est la plus haute des vérités et le but de toute philosophie ; l’effort est la jouissance réelle ; »
- On peut dire que l’Algérianisme était une sorte de « nationalisme culturel » visant à fédérer les différentes composantes de la population algérienne et donc à l’opposé de toute idée de communautarisme.
- Les thèmes chers aux Algérianistes : l’Algérie, son peuple, ses petits métiers, la rue, le bled, la mer, l’effort, la joie…
« Une journée de promenade dans un faubourg d’Alger, disait Randau, ou dans les vergers du Sahel, me suscite plus d’éléments d’écriture qu’une bibliothèque de documentation ».
Il disait aussi : « Il n’y a pas de livre d’imagination. La littérature c’est la mêlée humaine, et dans la mêlée humaine, les plus beaux gestes appartiennent à la plèbe ». (Les Algérianistes »).
. Leur style est spontané, non académique et il fait place au langage en création.
- Parmi les écrivains algérianistes, on peut aussi citer : Paul Achard (L’homme de mer), Lucienne Favre, Ferdinand Duchêne , Elissa Rhaïs ( Les juifs, Le café chantant), René Janon (Hommes de peine et filles de joie), ou encore Marcello Fabri.
Ce jeune courant littéraire, jusque là informel, va commencer à se structurer en 1920. Son premier acte est la publication d’une anthologie intitulée « De treize poètes algériens » et contenant des poèmes de ces pionniers de l’Algérianisme : Charles Courtin, Charles Hagel, Louis Lecoq, Albert Tustes, Robert Randau, Alfred Rousse, etc.
La préface de ce recueil constitue un véritable Manifeste algérianiste. Signée par Randau, elle précise que la mission de ce livre est de « Faire surgir du sol natal une intellectualité », de reconnaître « l’autonomie esthétique du jeune peuple franco-berbère ».
« Il doit y avoir une littérature nord-africaine parce qu’un peuple qui possède sa vie propre doit posséder aussi une langue et une littérature à lui ».
De même, en 1925, paraîtra une anthologie des conteurs algériens sous le titre « Notre Afrique ». Outre les noms des quelques poètes précités, on y relève aussi ceux de Hadj Hamou et Jean Pomier.
Un petit extrait du roman de Randau « Les Algérianistes » :
« Les plages, jusqu’au-delà de Guyotville, la cité des primeuristes aux blancs cottages, étaient ocellées de campements autour desquels jouaient et se rigolaient des familles de citadins, de colons, de bourgeois, de journaliers, de calicots, de maraîchers ; ceux qui dansaient à la guitare ou à l’accordéon chantaient des cantilènes ; les langages s’entrecroisaient ; l’un criait au vin en catalan et ses camarades brindaient à lui en patois piémontais, l’autre quémandait du fromage en dialecte sarde et des Lucquois se moquaient de lui ; des Provençaux farandolaient, claquaient des doigts à mesure et leurs monômes se heurtaient à des Maltais, à des Valenciens, à des Grecs ; des Corses se querellaient avec une bande pouilleuse de Siciliens au regard tragique ; de nombreux indigènes, chéchia en bataille et brin de jasmin dans la narine gauche, se mêlaient à la foule et banquetaient avec elle… ».
Pour compléter ces citations, voici encore deux phrases de Randau extraites de lettres adressées en 1931 à son ami Louis Groisard :
« Il y a en Afrique du Nord de très beaux tempéraments d’artistes, des poètes enthousiastes, de robustes écrivains de prose. Leur mission est de révéler au monde nos compatriotes, notre façon propre de vivre. C’est là la définition de l’Algérianisme ».
Et il ajoute :
« Nous sommes des initiateurs, les pionniers d’une pensée française originale dans des pays encore retardataires bien que méditerranéens. Nos pères ont défriché le sol ; les fils défrichent l’esprit » !
Les Algérianistes, au premier rang desquels Jean Pomier, décidèrent
d’ encourager l’expression de ce jeune mouvement et de ses auteurs en se dotant de trois moyens d’action :
L’association des écrivains algériens, créée en 1918, et dont le 1er Président sera Louis Lecoq.
Le Grand prix littéraire de l’Algérie , créé en 1921, et décerné pour la première fois à Ferdinand Duchêne pour son roman « Thamilla », paru chez Albin Michel. Le dernier de ces prix sera décerné en 1954 à Marcel Moussy pour « Sang chaud », paru chez Gallimard.
La revue Afrique, dont le 1er n° paraît en 1924 et le dernier en 1960.
Une nouvelle fois, la guerre, la seconde guerre mondiale cette fois, viendra interrompre l’essor de ce mouvement tandis qu’un autre courant se fait jour avec l’Ecole d’Alger à laquelle les noms d’écrivains comme Gabriel Audisio, René-Jean Clot, Emmanuel Roblès ou Albert Camus sont restés attachés.
Pomier reprochera à ce courant nouveau de diluer l’identité algérienne dans un méditerranéisme impersonnel et trop large.
Aujourd’hui encore, on peut retrouver cette distinction entre ceux qui n’hésitent pas à se dire « Pieds-Noirs », se réclamant de l’Algérie française, et ceux qui préfèrent se déclarer « Méditerranéens » et se sentent, comme Roblès : « fils de l’Algérie aussi bien que de l’Italie, de la Grèce ou de l’Espagne ».
C’est un peu la même attitude qui sépare, sur un autre plan, ceux qui se disent fiers d’être Français de ceux qui préfèrent se déclarer « citoyens du monde »…
Ainsi, le Méditerranéisme a-t-il pu parfois apparaître comme une posture de reculade, notamment après 1962, pour éviter d’être assimilé à une attitude Algérie française jugée sulfureuse et peu vendeuse…
La veine algérianiste ne s’arrêta pas avec la guerre de 39-45 :
- De nouveaux écrivains l’illustrèrent encore magnifiquement, au lendemain de ce conflit, comme Edmond Brua, avec « La parodie du Cid » et les « fables bônoises », ou encore Jean Brune, ce grand écrivain injustement négligé par la critique à cause de ses idées très engagées à droite et pour l’Algérie française.
« Cette haine qui ressemble à l’amour » restera, par exemple, l’un des chefs d’œuvres de la pensée et de la littérature algérianiste.
De même, on ne peut passer sous silence la grande saga algérienne écrite par Jeanne Montupet sous le titre « La fontaine rouge » ou encore « L’Algérie de papa » de Jean Bogliolo. Il y aurait matière, dans ces livres, à inspiration pour des cinéastes qui accepteraient de se débarrasser de leurs préjugés politiques et de consacrer à cette belle épopée algérienne quelque « Autant en emporte le vent pied-noir ».
L’Algérianisme n’est pas étranger non plus à l’œuvre de Camus que l’on classe pourtant généralement dans le courant méditerranéiste .
N’écrivait-il pas dans la présentation de la revue Rivages en 1938 :
« A l’heure où le goût des doctrines voudrait nous séparer du monde, il n’est pas mauvais que des hommes jeunes, sur une terre jeune, proclament leur attachement à ces quelques biens périssables et essentiels qui donnent un sens à notre vie : mer, soleil et femmes dans la lumière. Ils sont le bien de la culture vivante, le reste étant la civilisation morte que nous répudions. S’il est vrai que la vraie culture ne se sépare pas d’une certaine barbarie, rien de ce qui est barbare ne peut nous être étranger. Le tout est de s’entendre sur le mot barbare. Et cela constitue déjà un programme ».
De même, dans le dernier N° de la revue L’Algérianiste, Georges-Pierre Hourant a consacré un article à « Camus et l’Algérianisme ». Il y rappelle que Camus repoussait l’idée de livrer l’Algérie au FLN en lançant cet avertissement : « Cela aurait des conséquences terribles pour les Arabes comme pour les Français ».
Sur un plan plus littéraire, M. Hourant rappelle aussi cette phrase de Camus écrite en 1948 dans la revue Méditerranée : « Je n’écrirai rien qui ne soit en quelque mesure lié à cette terre dont je proviens ».
Le dernier roman d’Albert Camus, posthume et inachevé, « Le premier homme », paru de façon inattendue en 1994, est d’ailleurs un livre très algérianiste qui a fini de réconcilier les Pieds-Noirs avec le plus grand de leurs écrivains. Il y dépeint les petits détails de la vie quotidienne à Alger mais aussi le dur labeur des colons et réhabilite la colonisation au travers du personnage de Lucien Cormery qui ressemble fortement à son propre père.
Après la tourmente de 1962, on ne donnait pas cher de la survie de cette culture française d’Algérie.
Et pourtant, en 1973, un nouveau mouvement allait voir le jour : le Cercle algérianiste.
Mais il faut remonter un peu en arrière pour en trouver l’origine.
En effet, 10 ans plus tôt, en 1963, se créait à Toulouse l’Amicale Universitaire Pied-Noir. Elle réunissait une cinquantaine de jeunes pour des activités de loisirs mais aussi militantes ( marche pour l’Amnistie, etc.) et, déjà, culturelles (bibliothèque sur l’Algérie, conférences, expositions, journal « La Tchtatche »).
C’est au cours d’une réunion de cette amicale, un samedi après-midi au café Borios, place du Capitole, que ces étudiants, virent surgir un homme âgé, à la belle moustache blanche, lavallière au cou, cape noire sur les épaules et large béret sur la tête : C’était Jean Pomier. Il habitait à deux pas de ce café et avait eu vent de nos réunions.
Il parla longuement de sa vie en Algérie, du mouvement algérianiste, de ses rencontres avec des écrivains prestigieux : Camus, Montherlant, Bertrand, Randau…
En 1969, l’AUPN répondit à l’appel à l’union des associations lancé par le Général Jouhaud après sa sortie de prison, et elle s’intégra au Front national des rapatriés (FNR) dont elle devint la section Jeunes, avec pour programme spécifique : la sauvegarde de la culture pied-noir et le rétablissement de la vérité historique. Le général nous aida beaucoup dans cette tâche.
Mais en Janvier 1973, le FNR-Jeunes se saborda et cela pour deux raisons :
- l’échec de l’unité des associations et le constat que le FNR était devenu une association parmi d’autres ;
- La découverte du sport national pied-noir : la chicaya associative !
Mais il ne fallait pas baisser les bras pour autant.
Pendant quelques mois, une dizaine de jeunes a continué de se réunir et à s'interroger sur la façon de poursuivre cette action.
Il y avait là des anciens de l’AUPN, du FNR-Jeunes et aussi du Ranfran-jeunes lui aussi en cours de dissolution.
C’est ainsi qu’allait naître le Cercle algérianiste.
Le 14 Avril 1973, à l’Hôtel du Faisan à Limoges, c’est la création officielle du Cercle algérianiste. Cette assemblée générale constitutive réunit une dizaine de personnes.
Parmi les 10 fondateurs du Cercle, présents ou excusés à cette réunion, 4 venaient du FNR Jeunes (Gérard Garcia, Jacques Villard, Jean-Marc Fernandez et Maurice Calmein), 2 de l’AUPN (Hervé Cadot et Yves Nicol), 2 du Ranfran-Jeunes (Luc verlinde et Jean-Pierre Fuster) et 2 n’avaient aucun antécédent associatif (Armande Lespiat et Jacques Debono).
Pendant l’été 73, le Gal Jouhaud apporte son soutien enthousiaste et parle du cercle chaque fois qu’il le peut (dans l’émission Radioscopie de Jacques Chancel, dans les congrès du FNR, etc.).
Le Bachaga Boualem, le Gal Salan et Pierre-Jean Vaillard entrent dans le comité d’honneur, aux côtés de Jean Pomier et du Gal Jouhaud.
Les présidents d’honneur seront, successivement : Jean Pomier, Paul Belmondo, Fernand Arnaudiès et Alain Mimoun.
Le 1er Novembre 1973, c’est le lancement public du Cercle par un communiqué de presse largement diffusé.
Les réactions sont nombreuses et positives et les adhésions commencent à arriver. La machine est en marche.
En Avril 1974, c’est la publication du « Manifeste algérianiste » .
1000 exemplaires sont envoyés gratuitement à des personnalités, des associations et à la presse. Là encore, les réactions sont encourageantes.
En octobre 1974, se tient le 1er congrès à St Etienne. Il n'y a qu’une petite cinquantaine de personnes mais des décisions déterminantes sont prises : créer une revue, un prix littéraire, un centre de documentation, apporter un soutien aux Harkis, organiser des conférences en région et communiquer davantage par voie de presse.
Suivront de nombreux autres congrès, avec de plus en plus de participants au fil des années. Et des cercles se créent un peu partout en France.
En Avril 1975, le 1er Prix littéraire algérianiste est attribué à Jean Brune pour l’ensemble de son œuvre.
L’association des Amis de Jean brune s’intègre au Cercle, il est alors créé la Société des éditions de l’Atlanthrope. Le cercle a environ 400 adhérents.
C’est aussi vers la fin des années 70 que se crée le Mouvement des Fennecs (les « scouts ») et le Mouvement de la jeunesse algérianiste.
Le 9 Mai 1977, Jean Pomier s’éteint dans sa maison de retraite de Fronton.
Dans les années 80, le cercle est devenu un beau navire.
En 1992, lors des Rencontres du Trentenaire organisées par le Cercle de Versailles, dans un café, avec Fernand Chazalon, il est décidé de créer le Festival du Film algérianiste (le Fifal), qui vivra plus de 10 ans et permettra de découvrir ou de revoir de nombreux films bien différents de ceux que nous présentent aujourd’hui la télévision ou le cinéma.
Cette année-là, le cercle dépasse les 5000 adhérents.
Aujourd’hui, il en a le double, il compte une quarantaine de cercles locaux et il est devenu la plus importante association Pied-Noir... Et pourtant « le marché » diminue car il y a de moins en moins de Pieds-Noirs.
Il est capable d’organiser d’immenses manifestations, comme celle de l’hommage aux Disparus en 2007 à Perpignan, et n’a rien perdu de son caractère militant ( voir la récente manifestation de Valence contre la commémoration du 19 Mars).
Sur le plan littéraire, une nouvelle génération d’écrivains, tous proches du Cercle, est apparue en Hexagonie : Fulgence, Augustin Ibazizen, Henri Martinez, André Rosfelder, Marie Elbe, Francine Dessaigne, Albert Bensoussan, Daniel Saint Hamont et bien d’autres.
Dans la chanson, Jean-Pax Mefret ou Jean-Paul Gavino expriment aussi l’Algérianisme à leur façon et sont venus relayer Enrico Macias.
Le nombre d’expositions de peintres français d’Algérie est aussi le signe de la vivacité de cette inspiration.
Extrait d'une conférence de Maurice Calmein.